L'infirmière qui travaille en EHPAD

L'infirmière qui travaille en EHPAD

Quand il faut partir.

Les années passent. 

 

Le défi de travailler en EHPAD a été relevé. Il était question de dépasser l'agisme tant de fois exécré en service de chirurgie et qui n'est qu'un reflet de ce qu'exprime notre société contemporaine. Travailler avec des soignants qui partagent un intérêt authentique pour les personnes dites âgées (en fait juste des personnes: pourquoi préciser "âgées"?); cependant toutes rassemblées dans un même lieu, éloignées de leurs familles, éloignées des plus jeunes, éloignées des "autres", pour beaucoup.

 

L'ambition est grande quand on arrive en EHPAD: redonner goût à la vie ou plutôt permettre la vie quand d'autres ne pensent qu'à la mort. Afficher "lieu de vie" devant l'établissement, l'affirmer haut et fort pour que tous puissent y croire.

 

Le défi était d'autant plus grand que l'EHPAD ouvrait ses portes avec un projet d'établissement à construire, une équipe qui se découvre et qui coopère avec une envie commune: créer un endroit où les résidents se plaisent et se sentent chez eux jusqu'à y mourir peut-être mais comme on meurt à la maison, chez soi.

 

Il y a eu de très beaux moments, qui parlent d'accompagnements, de sourires, de larmes aussi. Il y a eu des périodes difficiles, des transitions, des changements, mais toujours avec l'espoir du meilleur.

 

Jusqu'au changement qui dérange. Etrangement, les remplacements qui étaient possibles auparavant ne le sont plus, les soignants ne sont plus écoutés mais mis de côté, les résidents n'ont plus droit à la parole. Il y a quelque chose de pourri...

 

Après c'est l'engrenage, et les larmes de dépit, les colères de ne pas être entendu, les épuisements successifs des ressources humaines de l'établissement.

 

Et puis toi qu'on appelle le pilier de l'établissement, l'ancienne (facile quand la résidence est presque neuve!) tu observes. Tu écoutes les pleurs de tes collègues. Tu partages tes inquiétudes. C'est toi qui parfois appelle le médecin traitant de celle qui craque, la médecine du travail pour signaler les épuisements successifs. Tu ne pleures pas toi non: tu es sidérée. Tout se délite. Ce qui a été construit ensemble se désagrège. Tu n'y crois plus. C'est fini. Il faut partir. Vite. Parce que ces pleurs qui ne viennent plus ce sont aussi ces sourires qui ne t'éclairent plus, cette colère qui te ronge mais qui ne sort pas ou alors pas au bon endroit. Les émotions sont étouffées prêtes à resurgir ailleurs ou plus tard. 

 

La reconstruction sera longue. 

 

 

 

 



22/04/2021
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